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Des nouvelles d'Ukraine

 Image du changement et autres histoires

 

 

2014-2016

 

En allant passer trois semaines dans la petite ville de Bratsigovo pour une résidence quelque chose m’avait frappé. Le maire de Bratsigovo, un homme extrêmement corrompu, s’était servi de l’argent alloué par des fonds européens pour faire construire un stade de foot disproportionné parrapport au nombre d’habitants de la petite ville. Sur les panneaux du chantier était imprimé le seul drapeau européen de tout Bratsigovo qui siégeait au-dessus du prix exorbitant des constructions. A côté du stade, l'école, l’orphelinat, les
HLM et le système d’assainissement de la ville étaient insalubres. À heure fixe l’arrosage automatique du stade qui restait constamment vide se
mettait en marche dans la chaude lumière crépusculaire des Balkans. Cette nouvelle capitale culturelle de Bratsigovo à quelque chose deprofondément déliquescent. Un peu comme Nikolay, la personne chez qui je logeais, me parlait des ruines du socialisme. Pour dénouer sa langue, il utilisait des cartes postales qu’il venait de ramener d’un petit village grec bleu et blanc en bordure de la Méditerranée. Nikolay se disait être l’un des enfants indésirables de ce grand artefact socialiste. L'environnement mental de Nikolay tournait autour de ses weekends en Grèce et son travail dans l’open- space des nouveaux bureaux d’une multinationale à Sofia. Les grandes catacombes spirituelles et architecturales laissaient par la république
populaire bulgare existent comme l’envers vide de ces cartes postales.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



Sur l’une des montagnes qui entoure Sofia se trouve le studio Nu-Boyana, racheté par une compagnie Hollywoodienne en 2001. Je fais la rencontre du chef décorateur du studio, un marseillais. « Avec les Bulgares on se demande toujours comment on va arriver à produire un film, surtout pour Hollywood, ils ne font que-ce qu’il veulent », ne pouvant pas faire le tour à pied à cause d’un problème cholestérol, il fît la visite en 4X4. Elle commença dans une décharge à ciel ouvert du studio qui laissait pourrir des décors d’anciennes productions hollywoodiennes, des navires et des
figures de proue de “300 Rise of an Empire” sur lequel il à travaillé. Les décors se recouvrent successivement de ronces à côté des boxes vides qui contiennent la pellicule argentine hautement inflammable du temps de la république populaire bulgare.
Une présentatrice afro-américaine explique comment découper un avocat dans un bungalow avec trois énormes spots dans la figure, derrière elle deux ouvriers bossent sur une cuve en béton tandis que plus haut dans la forêt une femme colore la nuque d’un mannequin décapité pour une reconstitution romaine d’ « History Channel ». En revenant vers le centre du studio de faux quartiers résidentiels américains donnent sur une rue de Londres qui a son intersection se transforme en une rue du Bronx. Je demande à mon guide comment il travaille sur les reconstituions et sur l’idée de « vérité historique » dans les décors qu’il construit :« la seule vérité que je connais c’est celle du budget. Dans des films comme ceux d’Hollywood oncherche plutôt une manière stylisée de raconter une histoire ».
Le décorateur fait un arrêt dans la rue américaine. Au tournant de la guerre de 39-45, dans le « Dugway Proving Ground » une base militaire de l’Utha, l’armée fit construire un village moitié nippon moitié allemand qui ressemblait à un l’emboîtement bizarre de décors de pays différents. Le village germano-japonais était utilisé pour tester des bombes incendiaires - le choix des matériaux variait d’une maison a l’autre en fonction des techniques de

 


construction utilisés dans les cultures régionales allemandes et japonaises, créant un modèle de simulation de l’ennemi totalement inédit. Un mondeglobal reconstituait pour la bombe. Dans un décor de rue anglaise du film « London Has Fallen » se trouve des noms sur les faux interphones et les fausses pierres tombales, un distributeur de billets de HSBC, une galerie d’art contemporain, et la réplique exacte d'un magasin Nespresso. Une équipe de repérage disparaît dans un décor de Rome kitsch infestait par des nids de guêpes. Derrière, un couloir mène sur une cité antique devenue

 



un Bagdad moderne où sont collées en arabe les affiches d’un dictateur imaginaire. La veille, un vent a balayé le studio et les statues romaines en polystyrène se sont fracassées par terre en tombant par terre, sans que personne prenne la peine de les ramasser. Enfin la visite s’achève sur uneréplique grandeur nature de la porte de la cathédrale de Saint-Paul à Londres. Elle donne sur un parking où sont rangées des pièces d’avion. Le Marseillais repart en voiture, il me laisse devant la grande porte de la cathédrale qui claque à intervalles réguliers.Je reviens dans le centre-ville vide, où les décors tiennent comme les murs éventrés d’un Berlin d'après-guerre. Deux employés échangent des balles sur un terrain de tennis dissimulé derrière une rangée de cyprès. La nuit tombe et le faux monde se remplit de ténèbres. Les employés du studio débauchent et traverse un cimetière en polystyrène pour disparaitre derrière les grilles du studio. La Bulgarie est le pays le plus pauvre de
l’Union Européenne. Nicolay fait de la gonflette dans sont appartement soviétique dans un été bulgare qui oscille entre rêve doré et incendie debenne à ordures.

 


Les jours de match Sofia se remplit de fureur. D’énormes panaches de fumée se dégagent du stade de l’armé Rouge. Pendant un match amical de l’UEFA après qu’Israël ait décroché son premier but, les supporters du CSKA envahissent le terrain et prennent en chasse les joueurs Juifs. Certains leur jettent des bouteilles de verre. Les joueurs d’Israël détalent confusément comme des lapins vers les bouches d’évacuation devant une foule ivre de colère et de joie qui se répand sur le terrain. Les vieillards, femmes et enfants sont restés dans les tribunes. Ils s’enhardissent de ce qui, à une
autre époque, aurait pu faire penser à un pogrome, avant que les CRS ne chargent la tribune. C’était mon premier match. Cette culture physiquebulgare enthousiasme particulièrement le studio de cinéma qui emploi épisodiquement ces hooligans à des prix très bas pour les exhiber dans des
travaux d’Hercule ou la lutte fantastique du monde gréco-romain contre les
Perses. Depuis le début de la crise Syrienne certains de ces Hooligans on rejoint le rang de milices à la frontière turque pour chasser les migrants qui prennent la route des Balkans.



La Roumanie et son cinéma

 


Le couple de dictateurs Ceausescu est abattu le jour de Noël devant les caméras de télévision nationale en 1989. A travers le petit écran, chaquecitoyen roumain se rendit témoin de l’histoire d’une révolution. Au lendemain de cette mort télévisée, c’est l'intégralité du système social quis’effondre, avec cette idée qu’il « fallait faire comme si, ça (le national-communisme) n’avait jamais existé ». Le national communisme devient alorsune fable absurde avec ses lieux de culte (la maison des peuples), insupportable pour un début d'histoire dans

 

le XXI° siècle, dans lesquels les Occidentaux sont invités à rejouer à l’Est la conquête de l’Ouest.
Dans l’ex-studio soviétique de Bucarest, « Castel Film », on reconstitue des bourgades de cowboys à cause des coûts de production dérisoires. Plusde 40 ⁒ des productions sont américaines, le reste est européen et enfin national - plus porté sur une production télévisuelle. L’Amérique est venuereconstituer son histoire en Roumanie : la chevauchée sauvage des cow- boys s’effectue dorénavant dans les rocheuses de Transylvanie, avecl’intuition d’un pouvoir d’entreprendre illimité tant l’histoire des Indiens est vouée à disparaître.
Pour m’expliquer la politique du studio de Castel Film, le directeur et producteur de films comme Anaconda 4 ou Ghost Rider 2 utilisera cettemétaphore : « produire un film c’est comme vendre une voiture - ça dépend de ce que veut le client ». Le monde issu de ces reconstitutions est unmonde violent. Les figurants comme les indiens d'Amérique se mettent subitement à décorer l’histoire d’un autre.

 

Néanmoins, construire unHollywood sur les ruines d’un cimetière de figures communistes, c’est s’exposer dans cette autre histoire. Ces films low-cost occidentaux tournés enRoumanie ou en Bulgarie, gardent la part maudite de leur passage dans ces studios, à la manière de l’hôtel Otherlook de Shining. C’est sur les mursde ces studios que désormais leurs images demeurent captives. C’est dans cet envers du décor que fantômes et chercheurs d’or accouchent d’unenouvelle histoire globale. Dans la rue de Paris, une employée du studio me présente à un âne : « il est contrarié ces jour-ci... avant il y avait unmouton avec lui mais on l’a mis dans la un autre endroit ». plus loin dans le studio Paul Schrader tourne La sentinelle .

A Bucarest je fais la connaissance d'Ionut Piturescu, un réalisateur qui fait de l’anthropologie-documentaire. Il a fondé une école à Bucarest avec unéminent anthropologue Roumain. Il m'héberge quelques jours dans son bureau. Le soir nous parlons longuement sur le sujet documentaire. Ill’oppose à la fiction, la fiction c’est-à-dire le faux. Dans le documentaire le réalisateur n’achète pas l’histoire de cespersonnages, il la négocie.Le documentaire demande une déontologie qu’Ionut trouve dans l’anthropologie, l’observation, l’accumulation de preuves pour filmer au plus prochedu réel une situation, une condition particulière. De cette manière, il dédramatisel’histoire, il désamorce des rapports de forces qui préexistent auximages sociales. Faire de l’anthropologie-documentaire c’est reconnaître un contexte politique et économique à l’action autant qu'à la définition de
ces personnages. Pour lui la fiction est son ennemi.


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


 


 

 

ODESSA

Il faut une nuit de Bucarest pour rejoindre Odessa. Le train passe par le petit État de la Transnistrie, région séparatiste de Moldavie par laquelle desTransnistriens en bleu de travail montent et descendent le béret sur la tête.L’uniforme réveilla bien des fantasmes en moi : la découverte d’un monde socialiste préservé du XXI e siècle. Ces prolétaires au visage creusé et autain morne avaient fait en 1992 une «petite guerre » à la Moldavie. Ces ouvriers était depuis la dissolution de l’URSS les nouveaux «
lumpenprolétaires », une terminaison marxiste qui désigne une masse d’ouvriers déclassés lancés à la poursuite d’un rêve perdu : le socialisme.

 

Yuri, que je rencontra bien plus tard dans les environs de la zone 2 de Tchernobyl, fut le propriétaire d’une grande exploitation agricole près deLougansk. Il avait vu ces employés rejoindre l’armée séparatiste de Lougansk à l’est de l’Ukraine. Ils assumaient ce fait devant leur patron : s'ils nepouvaient pas réparer l’injustice de leur vie, ils auraient les moyen de rendre plus injuste son existence.
A travers leur actions, ces employés appelaient à la création d’une « Novorussia », un état confédéré qui engloberait tous les « populations russes »de l’Oblast de Lougansk, Donetsk, Kharkiv Dniepropetrovsk, Kharkov, Odessa jusqu'à cette Transnistrie. Leur drapeau emprunte beaucoup audrapeau sudiste de la guerre de sécession.


À la gare d‘Odessa, dans l’odeur forte de charbon des locomotives, on entend la mélodie de « У .рного моря » - « Sur la mer Noire, Odessa ville delumière » - sur les mégaphones. Odessa a quelque chose des grands mélodrames soviétiques. Pouchkine dit d'Odessa qu’elle est une ville où la «vie y est bonne, terrible (et en reprenant la formule en français de Maupassant) quand même et malgré tout excessivement intéressante ». Une villede culture : elle vit passer le jeune Léon Trotsky, Isaac Babel... Une ville de cinéma : il est organisé une projection des frères lumière un an aprèsl’avant-première à Paris. Un studio de cinéma fut construit le long du boulevard français. Les pionniers choisirent la mer noire pour ça : la lumièrenaturelle ; l’électricité était encore inabordable pour l’économie modeste du cinéma. Eisenstein y tournera Le Cuirassé Potemkine, Dziga Vertof Une

partie de l’homme à la caméra, Dovjenko Arsenal et Issac Babel y travaillèrent comme scénaristes. Enfin Godard y réalisera sont dernier film :Socialisme.Odessa c’est un peu revenir à une sensibilité des conditions initiales. Il y a plus d’un siècle à Odessa, un enfant de pauvre crache sur le bel uniformebleu du jeune Trotsky le jour de la rentrée. Trotsky raconta dans ces mémoires qu’il perçut cet événement comme le détonateur de sa conscience politique.Quelques années plus tard, Trotsky est sur les docks et dans les halles d’usine pour plaider contre le Tsar. Aujourd'hui, Odessa est devenu laprincipale ville balnéaire d’Ukraine. En face de ces plages bitumées l’horizon de la mer Noire se trouve la Crimée annexée en 2014 par la Russie de Poutine. Dans le studio d’Odessa, des accessoires pourrissent non loin de la mer Noire. Le studio ne marche que l’été, l’hiver il fait trop froid.

 

Au bout du Bouvard français se trouve la maison syndicale. Normalement les choses mortes ne prennent jamais de la hauteur mais ici c’est l’inverse. Lamaison des syndicats avec son architecture au style kitsch soviétique et ses quatre colonnes de style grec vous écrase. Ces colonnes écrasent votresmartphone, l’hamburger que vous mangez, le panneau publicitaire que vous regardez, ou le code d’accès Wi-Fi auquel vous tentez de vousconnecter parce-que Odessa est résolument encrée dans notre modernité. En Ukraine j’ai vaguement entendu dire qu’il s’était produit une révolution« orange » en 2004 balayée par la crise économique de 2008. J’ai vu en histoire de l’art les photos de Boris Mikhaïlov, des corps décharnés maladesqui sembler rire de leur obscénité - cette série « case history» avait été prise dans les terrains vagues de Kharkiv, une ville plus à l’est de l’Ukraine.
 

Pour le photographe elle représentait « les nouvelles classes de la nouvelle société capitaliste » des années 90. Mais depuis l’an 2000, dans ce paysgrisé du socialisme dont l’ex-président orangiste portait encore les stigmates au visage, ce monde s’est métamorphosé. Il se place aujourd‘hui à l’avant-garde du libéralisme où la gouvernance du peuple (puisque les hommes politiques ukrainiens emploient ce terme) est entièrement réglée par l’économie.
 


Le 2 mai 2014 des supporters de foot défilent dans le centre d’Odessa. Les Métalliste de Kharkiv ont rejoint les Tchornomorets du club D’Odess.Depuis le début de Maidan, ces supporters ont pris l’habitude d’organiser des marches « pro-Ukrainiennes » avant les matchs. Ils s’opposent auxpro- russes, les « Titouchka ». Dans la nouvelle société des années 90, les nouveaux chancres du capitaliste ont accumulés tellement d’argent en «réformant » le système social qu’ils furent en capacité d’acheter l’ordre social.


La libéralisation de l’industrie soviétique entamée par la pestroika n’avait pas amené les investissements nécessaires pour améliorer le sort destravailleurs. Beaucoup d’usines une fois rachetées étaient tout bonnement rasées pour y revendre la ferraille à la tonne. Et pour contrer les effetindésirables de ces réformes et devant l’accroissement spectaculaire des inégalités, la nouvelle élite qui profita largement de ce pillage desressources publiques déploya une politique extrêmement populiste basée sur une haine de la démocratie. « La vodka, l’église, et le stade de foot »c’est à peu de chose près l’univers psychotrope dans laquelle cette oligarchie a plongé cette nouvelle société libérale.

Le jour du 2 mai 2014, un jeune ukrainien reçoit une balle dans le thorax tiré par un pro-russe. Il est transporté sous le monument saint Graf-Vorontsov, la statue d'une amie de la femme de Pouchkine. Son sang s'est vidé dans les fleurs du monument et il est mort tout près de la cathédraleorthodoxe à l’intersection avec le boulevard. Après il y a le grand incendie derrière les quatre colonnes de la maison des syndicats.

 

 

A Kharkiv, au stade Métalliste « spider » à coté duquel un hôtel en construction a gardé les grands affiches de l’euro 2012 « Welcome » le directeurme guide à travers les allées vides. Il fait la promotion de tout un tas de technologie dont le nouveau stade avait été équipé pour le championnateuropéen de football tout en confessant que la plupart ne servent à rien. L’immense skycam (une caméra suspendue au-dessus de stade) estabsolument inutilisable, tout comme un pont de 120 m ou des câbles qui font la jonction entre le stade et un parking pour les camions à antennemobile. Sur la question des supporters il est un peu embêté : « depuis les événements de 2014 nous n’avons plus aucun contrôle sur eux. Avant, il
était normal que le club donne un peu d’argent à ces supporters pour qu’il organise leurs petites fêtes mais depuis que le patron du club (pro-Russe)a fait ses valises et est allé s’installer en Russie, les supporters ne nous écoutent plus ». Un peu plus loin sur la place du grand théâtre les supportersbrulent des fumigènes rouges. Ils fêtent la fin de saison et parmi les maillots de foot se mélangent les symboles du bataillon de volontaires Azov.

Lorsque l’Italie avait accueilli les jeux olympiques de Rome en 1960, le cinéaste et poète Pier Paolo Pasolini écrit dans un journal sa peur à l’idée dece que provoquerait la fin des grands chantiers olympiques et le chômage qui toucherait les ouvriers des banlieues Romaine autant que du vide quelaisserait les J.O. une fois terminés, comme si les J.O. furent un jeu presque incompatible avec la vie ordinaire des romains. Ces grandes liessespopulaires ravivaient ces souvenirs des jeux de 36 où la communauté occidentale, en acceptant de donner l’organisation des jeux à l’Allemagne desannées 30, blanchissait les accents d’autoritarisme de son régime et contribuait à conforter cette montée du fascisme en Europe et en Asie. Cegrand bond en arrière stylistique de 1936 s’accompagnait d’innovations technologiques qui sont elles bien de notre temps. Pour la première fois leplus grand spectacle sportif du monde est retransmis à la télévision dans les villes de Postdam et Leipzig. L’expérience est réussite : plus de centmille Allemands supplémentaires verront les J.O. à hauteur d’une heure hebdomadaire de direct. À l’époque, cette rediffusion par des fréquences detélévision est encore expérimentale.

 


J’ai retrouvé l’une des premières caméras de télévision au musée technique de Berlin. La caméra de 36 qui était manipulée par des opérateurs destudio de cinéma Allemand de l’UFA fut détruite pendant la guerre mais le musée a gardé quelque part dans ses réserves une autre caméra : celledestinée aux J.O. de 1940 de Tokyo, un spectacle qui n’aura jamais eu lieu, parce que cette promesse « de lien de paix » comme l’avait intitulé Hitle et Pierre de Coubertin au J.O. de 36 n’a pas supporté la politique populiste et paranoïaque de l’Europe d’entre deux guerres. Quand je tape surl’internet « International Donetsk Airport », le nouvel aéroport par lequel transita l’équipe de France pour l’Euro 2012, un petit encart sur Googles’affiche en rouge : « définitivement fermé ». La peur ou la fascination d’un spectacle « définitif », comme ce fut le sort des J.O. de 36, des J.O.d’hiver de 84 en Yougoslavie et aujourd’hui de l’Ukraine et pour 2018 la coupe de monde de Russie.
 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 MARIOUPOL

 


Derrière le port de Marioupol, un panneau « danger mine » a était disposé. J’avais vu ce panneau sur le journal Libération titré quelque chose comme« une drôle de guerre à Marioupol ». Des tranchées sont creusées dans la plage et semblent abandonnées face à la Mer Noire, tranquille, où lessoldats ont attendu cette Troisième Guerre Mondiale qui devait arrivée de Crimée. J’avais en tête un joli « travelling » façon Jean-Daniel Pollet dans Méditerranée. On retrouvait sur la mer d’Azov cet univers des coteaux grillagés, des plages obstruées par les cubes de béton armé. Tandis que jesors mon matériel vidéo pour filmer mon hommage à Jean-Daniel Pollet, un soldat bondit de sa positon faussement abandonnée. Il fait signed’avancer, arme de gros calibre en mains, derrière les roseaux d’un plant d’eau. Pas de papier d’identité sur moi, il me reste qu’un papier de monuniversité et une fausse carte de presse. Je lui montre le papier pensant qu’il me laisserai tranquille, mais le faux de mauvaise qualité éveille chez lesoldat plus de suspicion qu’il n’en aurait fallut a mon égard, et décide finalement de me faire prisonnier.
 

Chasse aux espions : 4 soldats s’emploient au décorticage de graines de tournesol. L’un des soldats et allez chercher du Schweppes et des «Pringles Goal » dans une épicerie derrière le port. Petite session de photos avec l’un des soldats sur son téléphone Samsung. Sur la plage sont plantés de vieux parasols métalliques réservés à la baignade et une bouteille en plastique vide. « Slow-motion ». Un des soldats rit et répète le mot en anglais enmontrant du doigt une mouette qui prend à contresens les rafales de vent dans le silence et la vue imprenable sur la mer d’Azov garder par dessoldat du même nom. Ni la mer, ni les soldat, je ne peux les filmer à mon grand regret. Sur les épaulettes des soldats, le logo « Azov » et uneWolfsangel S.S inversée. Un des soldats me propose une cigarette je dis oui. Il m’en propose une seconde je dis non. Mais cela ne veut pas direpour autant que ces jeunes relise tous les soirs Mein Kampf et qu’ils regardent en boucle « Le Triomphe de la volonté » de Leni Riefenstahl. Ça je lelaisse dire à Paul Moreira dans son Spécial Investigation sur Canal+ pré-Bolloré. La plupart de ces soldats sont issus de milieux défavorisés del’ouest du pays. Leur bataillon est financé par l’oligarque israélo-chypriote Oleh Liachko. Si vous achetez à H&M des jeans roulés à hauteur deschevilles ça ne veut pas forcément dire que vous êtes un skinhead, même si les skinheads s’identifiaient notamment par le fait que leurs jeans soientroulés à hauteur des chevilles. Si vous avez déjà roulé votre jean de cette manière, vous n’allez pas revenir au fondement du National-Socialisme pour expliquer votre intention. Vous allez d’abord parlé d’un style à la mode. Cette mode emprunte des symboles aux skinheads, empruntant eux-mêmes des symboles S.S.

 

C’est tout l’ambiguïté que soulèvent ces symboles S.S d’un bataillon financé par un oligarque Israélien.

Au bout d'une heure, trois hommes arrivent dans un 4x4 Mazda neuf. Un des soldats a un caméscope Sony qu’il braque sur moi : « filme tout ». Surla main de l’opérateur, un tatouage du Punisher, un personnage de comics américains. Le soldat en charge de la plage parle avec son chef et lui ditavoir trouvé deux papiers d’identité. Aillant cacher ma fausse carte de presse au fond du sac le soldat me demande de lui présenter à nouveau lespapiers : « it’s a fake one » balbutiait-il en donnant la carte en carton, collée entre deux tranches de plastique, que j’avais imprimée dans le seulcentre commercial de Marioupol. Sans plus tarder les soldats m’embarquent jusqu'à leur QG -

l’opérateur me fait barrage avec sa caméra si jamais ilme venait l’idée de fuir. Un plan de Jean Daniel Pollet que je n’aurais même pas

filmé me coutera 6 heures de garde à vue.


 

« Une mémoire fuit obstinément vers des époques de plus en plus lointaines (bruit de violon d’Antoine Duhamel) l’impression d’ancienneté
augmente. » extrait du film Méditerranée de Jean Daniel Pollet. Au centre de renseignement des armées, visionnage des rushs avec l’inspecteur : différent tests de slow-motion, certains mouvements de caméradans le petit stade du FC Illichivets pris la veille ; interrogatoire et consultation de mes amis Facebook. Au bout d'une heure et demie l’interrogateurest remplacé par un autre qui pose les mêmes questions. Je demande à me rendre aux toilettes. Un soldat armé d’une Kalachnikov m’accompagne jusqu'à la porte des WC - sentiment de culpabilité lorsque je referme la porte sur le soldat. Derrière les barreaux des toilettes, le ciel de Marioupol estconstamment bleu depuis qu'un avion remplit d'Hollandais au départ de vacance est tombé dans la zone grise. Le conflit n’avait eu tout simplement aucune existence pour ces citoyens globaux qui devaient passer au-dessus du danger pour aller profiter des plages préservées de Malaisie. Ils sontdevenus les martyres d’une guerre à distance.

On verra les corps d’innocents tomber dans les jardins et les champs de tournesol du district de Lougsank. Les sièges sur lesquels ils étaient encoreharnachés s’étaient transformés en machines de torture. Les fragments de corps, de turboréacteur, de perroquet, de crème solaire et autres piècesexotique sont tombés dans une région où les vacances n’existe plus depuis la chute de l’URSS. Ce monde d’ouvriers agricoles et de mineursramassaient dans les champs le rêve perdu de cette Europe qui ne les fait plus rêver « à cause des terroristes ». Dès son premier mandat, Poutine,riche de son enseignement des années Eltsine, avait déclaré que l’essor de la démocratie était indéniablement lié à l’essor du terrorisme. Et lespouvoirs législatif et judiciaire d’un état démocratique seraient forcément plus faibles que ceux d’une dictature. Les attentas dont fût victime la Russieen 2002 avec l’attaque de Nord-ost ,170 victimes, et la prise d’otages deux ans plus tard de Belsan, 334 victimes dont 184 enfants, furent l’occasiond’organiser pour Poutine le démantèlement des institutions réellement démocratiques du pays. Le sang versé était encore la preuve que la Russie futune démocratie. Avec la crise des réfugiés et les vagues d’attaques terroristes, l’Union Européenne vient conforter cette idée d’un lien charnel entre démocratie et terrorisme déjà vielle en Russie. Si les peuples de l’ancienne Union soviétique plaçaient jusque ici l’Europe comme un rêve utopiqued’une démocratie prospère et libertaire, ils l’ont remplacé par ces images barbares de camion fou, de ceintures d’explosifs et oublient tous lesprivilèges de notre héritage socialiste que nous avions su mieux préserver qu’eux (jusque ici).


Un fixeur, Vadim Mosseko qui travaille pour Le Nouvel Obs et Libération avait réussi à se faire passer pour un mec de l’OSCE et s'est approché deswagons où étaient déposés les corps des passagers du vol 17 de la Malaysia Airlines. L’odeur putride dégagée par les wagons de tôle à quai depuis10 jours était restée sur ses habits. L’une des choses les plus horribles qu’il ait eu à ressentir de cette guerre est cette puanteur des innocents. L'Europe audépart des grandes vacances avait rejoint cette autre Europe : celle de la nouvelle république de Lougansk. Les wagons seront finalement réexpédiés à la Hollande par la Pologne.

On me relâche après 6 heures de garde à vue, les soldats me souhaitent ironiquement la bienvenue à Marioupol. Le soir et pour la première foi desbruits de bombardement à quelques kilomètres de la ville se font entendre comme des coups de tonnerre lointains - quelques minutes, avant que lebraillement de chien ne reprenne sur la mer d’Azov.
C’est peut être à Marioupol que fut tourné ce premier plan de Mikhaïl Tchiaoureli où de petits pionniers avancent dans un champ de coquelicots enchantant une chanson sur le printemps. En contrechamp, on voit sur l’autre baie une cokerie poussiéreuse qui recrache de grand panache noir tandisque les enfants continuent à chanter en sautillant gaiement, comme si l’odeur du charbon en fusion était aussi douce que le parfum des coquelicots.Le stalinisme donnait à vivre d’avantage son industrialisation qu’aujourd’hui. Les fleurs et la fusion toxique du charbon n’ont plus la même odeur.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

DONETSK


Katia, à peine diplômée de l’université de Donetsk, commence à travailler au tout début du maidan de Donetsk, comme traductrice. Sur la placeLenine, elle rencontre pour la première fois des gens « comme sortiss de nulle par ». Katia hésitait à traduire les propos des manifestants qu’elle jugestupides au journaliste français pour ne pas qu’il rapporte une si mauvaise image de Donetsk.Pour Katia, Donetsk avait une voix similaire à la sienne,jeune, modérée et intelligente. Elle ne reviendra pas à Donetsk et préfère aujourd'hui travailler à Kiev pour des entreprises étrangères ; là ou laguerre n’existe pas. Elle connaît « Vadim le fixeur » qui fait le passage pour les français à Donetsk.



Check-point zéro : un blindé coupe la route en deux, notre voiture double une longue fille d’attente sous le prétexte que nous sommes journalistes. «Vadim le fixeur » a obtenu deux autorisations presse : l’une pour la Zone ATO sous contrôle de l’armée Ukrainienne et l’autre pour Donetsk. Nousgarons la voiture derrière de grands blocs de béton. Plus d’une centaine de vieillards, de femmes et d’enfants encombrés de valises attendent auxcheck- point zéro pour regagner la nouvelle république de Donetsk. Si le check-point porte le nombre « Zéro » c’est parce qu’il fut le premier à êtreconstruit sur la grande route nationale qui relie Donetsk au reste du pays.
Sur une archive datant de 2011, Michel Platini, alors président de l’UEFA, est venu fouler du pied le chantier du terminal de l’aéroport de Donetsk.

 

C'est ici que va être jouée la finale des matchs de l’euro 2012 et le terminal fait partie du cahier des charges. Le français est venu à cause del’argent ; beaucoup d’argent. Les plus grandes fortunes sont nées dans le bassin minier de la région Dom ; Donetsk en est la capitale. Cetteoligarchie agit pour sa survie au nom d’un peuple qu’elle veut construire. Ce peuple c’est celui des stades, un peuple de supporters.
Platini est venu pour faire décollé ce monde imaginaire des oligarques.Dima, originaire de Lougansk, réfugié à Kiev, est parti rendre visite à sa belle- mère en passent par la frontière russe du coté de Kharkiv en taxi, cequi évite de passer par la ligne de front. Sur la route du retour, il fit la rencontre de l’ex- copain de sa femme, devenu depuis l’insurrection du Donbassun séparatiste en charge du check-point qu’il s’apprêtait à passer. Le mari fut roué de coups et le soldat demanda à son ex-copine qu’elle lui fasse une fellation sans quoi ils ne passeraient pas.

La femme demanda à son mari si elle devait faire cette fellation pour qu’ils arrêtent de le battre mais le mari répondit « non ». La femme épouvantéesupplia en criant qu’on lui vienne à l’aide. Par chance un VTB, un blindé, sur lequel étaient plantés une dizaine de volontaires russes s’apprêtait àregagner son pays. Indignés par la scène dont ils étaient les témoins, les soldats russes décidèrent de venir en aide aux deux importunés. Les soldats séparatistes du check-point furent bien battus. Le mari, une fois debout, le visage en sang, tenta de culbuter d’un coup de genoux l'ex-copainde sa femme mais le rata de quelques centimètres et se fractura le genou sur la portière du taxi. Les deux ukrainiens avaient aussi leur fille de 9 ans à l’arrière du taxi et le chauffeur qui avait tenté de s’interposer en faveur de ses clients reçu une balle dans le pied. Pour les 700.000 voyageurs qui empruntent tou les jours la route de DNR ces histoires sont quotidiennes. Ceux qui passent sont exposés aux bombardements, aux snipers et auxmines antichars enterrées dans les champs. Les soldats nous remettent notre laisser-passer mais veulent en échange une blague française ;

 

Vadim leur raconte une blague de cul anglaise. Les soldats rient quelque instants et nous laissent passer. Nous rentrons dans la zone grise : un no-man’sland, où les énormes poteaux électriques qui alimentent la ville se sont pliés sous l’effet des bombes. Un peuple d’ombres patiente derrière lescorridors, sur cette route où même les ambulances ne s’aventurent plus. Nous traversons la zone. Vadim à l’habitude. Notre voiture file jusqu'à ceque se détache au bout de la route le drapeau de DNR. Mais en Arrivent à Donetsk j’ai l’impression d’arriver trop tard. Comme si à travers, entredeux jalons médiatiques de la guerre du Donbass, le temps s’était figé dans un printemps morose.
Dans un café du centre, le Mojito Club, Vadim retrouve d’anciens amis qui le mettent en garde contre les enlèvements de plus en plus fréquents,souvent de manière aléatoire, des civiles arrêtés par des milices. Les victimes de ces enlèvements sont le plus souvent torturés. Après quoi, soit lavictime passe aux aveux et est rendue aux famille contre une rançon, soit la victime est trop amochée et elle disparaît, purement et simplement ; des pratiques similaires aux régions de Tchétchénie et d’Ingouchie où les autorités locales continuent de mener une guerre contre le terrorisme par uneterreur aveugle. Les Ukrainiens du Donbass se retrouvent pris en étaux entre les bombardements épisodiques de l’armée ukrainienne et les raflesdes milices séparatistes.

La nuit tombant, nous sommes invités par le père de Vadim qui habite un appartement, deux étages au-dessus du sien. À la fin d’un repas bienarrosé, la demi-soeur de Vadim qui a 13 ans va jouer au piano un morceau qu’elle vient d'apprendre à l’école et dans la cuisine raisonne dans lesoreilles des invités ivres la mélodie du chant des partisans. Vadim continue de manger en silence sans vouloir y prêter d’attention particulière. Tous les soirs a lieu un match de l’euro 2016. Ce soir c’est au vélodrome de Marseille que se dispute le match Russie-Angleterre. Dans les dernièresminutes du jeu, Glouchakov égalise contre les Anglais sur une tête. Les premiers tirs de D-30 sur l’Ukraine retentissent par la fenêtre.L’URSS trompa l’Occident à la manière du trompe l’oeil de Parrhasius. L’URSS avait réussi à tromper des personnes qui s'attendaient à êtretrompées, et lorsque Mikhaïl Gorbatchev voulut révéler les conditions réelles de l’URSS au début de la Pérestroïka, l’URSS disparut 7 ans plus tard.Le communiste se voulait être une « religion de la vie ». A Donetsk, Dziga Vertov tourna en 1932, un documentaire sur les plans quinquennaux, ets’efforça de rendre le plus vivant possible l’état ouvrier. Trotsky explique la religion comme un besoin primitif de spectacle. L’orthodoxie et l’alcoolfurent deux moyens tsaristes de faire sortir le prolétariat de sa « grisaille quotidienne ». Chez Dziga Vertof, on éventre des églises et les usines sidérurgiques deviennent de grands magasins de jouets déconnectés des effets désastreux de l’hodolomour. Aujourd’hui, la situation est restée similaire. Le rétablissement du bon vieux capitalisme a provoqué une aggravation spectaculaire des inégalités. Egor Gaïdar chargé de la réforme économique auprès de Boris Eltsine n’avait-il pas dit que pour gouverner il faudrait confisquer les libertés, affaiblirles lois et suspendre la démocratie sans quoi l’ancienne URSS risquait d’exploser comme une bombe. Le libéralisme devait donc perdurer aux côtésde cette histoire du parti unique et du totalitarisme.

 

Aux abords d'un stade de la banlieue de Donetsk, je viens assister à un match de première division de DNR. Quelques jeunes m’interpellent dans lestribunes et se félicitent du bordel qu’ont mis les Russes au Vieux-Port. Je fait la connaissance « du grec », président du club de foot Oplote. Il est l’undes lieutenants du bataillon qui porte le même nom, à l'origine Oplot, et a perdu presque la moitié de ses soldats en reprenant l’aéroport de Donetskà l’armée Ukrainienne. Un bus affrétait pour l’équipe traverse différents check-points jusqu'à un village entouré de mines à charbon. Les Opolotperdent quatre zéro.

Nous retrouvons un officier du bataillon Oplot à une station- service. Le temps de boire un café et d’avaler un Twix. Un 4x4 Volkswagen blanc fait son entrée dans la station. C’est celle du général du bataillon Oplot. Ce dernier est en tenue militaire mais il porte des chaussures de sport.
Sur la fenêtre arrière il a scotché le portrait de Staline imprimé en couleur sur une feuille A4. Vadim fait une réflexion sur ce mélange un peu bizarreentre produit de consommation et uniforme militaire. Lech Walesa n’a t’il pas dit que « Le stalinisme, c'est la voie la plus longue pour aller du capitalisme... au capitalisme. ». A l ‘époque, le mouvement Solidarnos organisait ses meetings politiques pendant les matchs dans le grand stade de Narodowy, pour échapper au contrôle du KGB. Mais le grand saut en arrière voulut par les séparatistes n’a pas empêché à ces soldats de rester dans une société où les chaussures sont fabriquées en Asie, la voiture en Allemagne et le Staline imprimé par une machine de marque américaine. Sur la route on trouve un peu partout le sinistre portrait du président Zakhartchenko, qui comme tous les héros séparatistes semble profondément ébranlé, martyre de son succès politique. Nousallons assister à la finale de « mini-foot » organisée par les soldats Oplot dans leur base : une maison de fous réaménagée en caserne militaire avec un drapeau de la Spetsnaz GRU, l’unité de renseignement Russe, dressé à côté de celui de la DNR. Une belle journée à l'ombre des peupliers. Les bruits du sifflé de l’arbitre se confondent dans ceux des tirs des AK-47 dans les champs voisins. Le général nous propose de prendre le déjeuner. On remet les médailles aux différents groupes de soldats.

Café au «Mojito Club » : Vadim dessine une jambe sur son carnet à dessin : « jeudi journée de la jambe ». Le serveur nous apporte en terrasse deuxcafés. Nous buvons une gorgée qui descend difficilement. « D’après toi, quel est l’intérêt à faire un mauvais café ? C’est de faire un bon café. Alors
quand on tient un restaurant quel est l’intérêt de faire de la merde ? » Nos cafés se mettent à vibrer au passage d’un VTB. Une dizaine de soldats encagoule nous regardent et laissent pendouiller leurs jambes le long du blindage - ça dure une bref instant puis ils disparaissent aussi soudainementqu’ils sont apparu « c’est la guerre putain » dit Vadim en souriant. Nous finissons de boire le café. La terrasse où nous sommes donne sur le boulevard Pouchkine qui longe la place Lenine où des milliers de « pro-Russes » ont chanté leur slogan « Respublika » devant la statue du grand Lenine. « Pour qu’il se vive - mourez !» écrit Maïakovski.
Le ministre du sport est l’un des seuls à être encore resté en place depuis la création de la république. Sans son invitation nous n’aurions pas eu la possibilité de venir à Donetsk. Il nous reçoit pour le documentaire. « Le sport c’est quelque chose pour ne pas réfléchir à la guerre. Aujourd'hui ça prend beaucoup de temps de se battre alors soit tu fais la guerre soit tu joues au football mais tu ne peux pas faire les deux ». Depuis la guerre, la DNR s'est tournée à « 180° » vers la Russie. On organise des rencontres en Crimée, des clubs de foot juniors sont allés jouer en Biélorussie et au Kazakstan. Il y a même eu une compétition de judo en Turquie où le drapeau de la république était affiché à côté du drapeau français. Dans l’armoire à trophée du bureau du ministre se trouve un à un ballon de l’Euro 2012.
-On se souvient de l’Euro 2012 à Donetsk ?-Ils sont venus et repartis par l’aéroport. Ils ne reviendront plus. On a vu beaucoup de touristes, des français ont joué au Donbass Arena maisaujourd'hui le stade joue le rôle de centre humanitaire. Pendant l’Euro, on est resté à côté de la fête. »« Rester à côté » de la fête c’est un peu le sentiment qu’on a en entrant dans l’une des mines de Donetsk : les posters soviets sur les murs, uneestrade fait face à des rangées de sièges usés. Le contremaître longe les couloirs humides aux reflux de fosse septique. Une chienne méchante adonné naissance à ses bâtards dans une ancienne chaine de triage et j’avais remarqué que le contremaître depuis le début de notre entretien tenaitun bâton dans sa main, pour la frapper si elle tentait de s’interposer entre nous et la mine. Sous un arbre mort, l'équipe de jour fume avant d’aller autrou. Les habits qu’ils portent sont en haillons. Un des mineurs est torse nu ce qui met en rage le contremaître « c’est l’image que tu veux donner de la mine ! ». « Comment vont les mineurs de France ?

 

- Il n’y a plus de mineurs en France depuis au moins 20 ans.
 

-C’est vrai qu’en Europe tout le monde et PD ?

 

-Le problème c’est que lorsque les mines ferment l’eau s’infiltre dans leurs galeries. La croûte au-dessus se ramollit jusqu'à ce quelle tombe. On a vu des villages entiers tombés comme ça, dans un trou... On a beaucoup creusé dans le coin ; la guerre n’a fait qu’accélérer la fermeture des mines. Peut-être qu’un jour Dontesk va tomber dans un grand trou.


L’équipe de nuit, plus sale, marche en silence vers les douches. En 2010 Viktor Lanoukovitch avait fait de la production du charbon une priorité nationale. Les mineurs ont toujours attendu les investissements nécessaires pour améliorer les conditions de travail mais aujourd’hui les conditions de travail ne cessent de se dégrader.

Petit-déjeuner a l’hôtel Ramadan : Personne dans l’hôtel à part les employés. Nous nous installons dans la grande halle du restaurant. Une chef- cuisiner passe par une porte battante pour prendre la commande : deux oeufs. Entre à son tour un employé qui ouvre précautionneusement lagrande baie-vitrée et met en marche le brumisateur de la terrasse, nous salut et disparaît. « Lorsque le Boeing est tombé, c’était rempli dejournalistes. On dressait de grandes tables et les journalistes parlaient de manière hystérique d’une table à l’autre pour savoir qui avait abattu l’avionet quelles allait être les conséquences. On parlait dans toutes les langues, tous les grands reporter étaient là, il avait une telle passion à parler... ». Illaisse un silence et le top 20 de DNR reprend le dessus avec Rhianna « Work, He see me do my-dirt, dirt, dirt ». Vadim rajoute « si tu vois desjournalistes arriver ça veux dire qu’il faut foutre le camp. Dans le sens qu’ils sont arrivés car ça allait péter. S'il n’y en a plus ça veut peut-être dire queça va mieux. »


L’hôtel le plus luxueux d’Ukraine fut construit à Donetsk par son oligarque le plus riche, Rinat Akhmetov, l’ancien parrain du président, Viktor Lanoukovitch, qu’il a fait élire en 2010. Dans ce nouveau Palais d’Hiver, la clientèle est pour le moins hétéroclite. Des observateurs pour la paix et des représentant d'ONGs partagent le grand salon avec des seigneurs de guerre venus prendre du repos en famille.
Dans les étages on trouve de trait bonne copie de maîtres hollandais, de vraies peintures japonaises, des porcelaines, des plafonniers en or, et même la « suite présidentielle » de laquelle on aperçoit le grand Lénine sur la Place Centrale qui nous tourne le dos.
Devant le ministère des armées, nous attendons un attaché à la communication de DNR. Nous parcourons la banlieue sud de Dontesk et plus nous nous rapprochons de l’aéroport plus les HLMs se corrodent par des couches successives de bombardement. Enfin nous arrivons en face de l’impressionnante carcasse de l’aéroport. La voiture s'engage sur une double voix accidentée jusqu'au parking, une caverne dans laquelle des soldats sales sont tapis dans l'ombre. Je me dépêche de mettre mon gilet et mon casque parce qu’au fond j’ai la frousse. Un coup canon me fait sursauter mais Vadim me rassure « c’est un out-shot ». Le soldat qui nous précède commence la visite par une image fraîchement peinte sur laruine. : un « # » en hommage aux 101 enfants morts pendant la guerre, à coté d'anciens guichets « tourist information ». Nous marchons deux pardeux à 5 mètres de distance. L’aéroport porte le nom de Sergueï Prokofiev le compositeur mort le même jour que Staline. Le porte-parole des narmées ukrainiennes parlait de l’aéroport comme d’un enjeux stratégique et symbolique - symbolique par ce que beaucoup de soldats Ukrainien sont
mort a l’aéroport. Il faut faire attention aux snipers. Je retarde le moment de notre départ. Ce n’est pas une simple ruine, c’est la ruine d’un monde auquel je crois, celui d’une architecture d’un monde auquel j’appartiens. Dans la durée des vies des hommes, ce fut une catastrophe du présent, l’immense suicide de ce règneéconomique, avant que ne tombe la nuit la plus profonde sur le terminal de l’aéroport de Donetsk.

 

En quittant son appartement Vadim me demande de bien cacher mon accréditation militaire. Nous traversons une dernière fois Donetsk, vide, dans une fin d'après-midi d’été. En direction de la ligne de front, la DNR a dressé un check-point de fortune, notre dernière escale avant Ukraine. Cet endroit fait de caravanes aux murs gondolés par la moisissure sur lesquels les fenêtre sont obstruées par des planches en PVC renferme une case en béton construite au milieu de la route sur laquelle flotte un drapeau décoloré de DNR. Des hommes sont accroupis dans une tranchée aux abords d’une forêt. Pendant que nous attendons au check-point que nous soit rendus nos passeports, en quelques instants des soldats entourent la voiture et pointe leur arme sur la voiture. L’un d'eux crie « c'est eux, c'est eux! ».

Un liquide froid se met à me couler dans le ventre. « Ne vous inquiétez pas c’est peut- être une erreur». Le soldat passe un appeler et reçois laconfirmation que c’est bien nous qu’il cherche. « Les mains sur la voiture ». Les soldats nous font dos, nous sommes confusément paniqués et immobile. Je demande à Vadim ce qui se passe il me réponde seulement « il y a un problème ». Ils nous interdisent aussitôt de parler en français. Un autre groupe de soldats accours sous les ordres de leur chef un homme au visage rouge et gonflé parce qu’il avait bondi de sa voiture en criant «visage en bas, visage en bas, les mains derrière la tête ! ».

 

A notre départ le père de Vadim avait confié à son fils sa montre Suisse qu’il devait faire révisé chez un horloger parce que depuis le début de la guerre il n’y a plus d’horloger qualifié à Donetsk pour les montres suisses. Vadim finit par prendre la montre et la passe autour du bras. Pour ne pas attirer l’attention des soldats au check-point sur le fait qu’il a deux montres au poignet dont l’une qui n’est pas une montre ordinaire, Vadim préféra croiser les bras devant lui pour les cacher. Ne parlant pas bien russe, je fis pareil et mis les maint devant la tête ce qui rendit le petit chef fou furieux « putains mais vous n'êtes pas à la plage ! Les mains derrière la tête ! ». Il commença à frapper Vadim en lui assénant des coups de pied dans le visage. «On va vous exécuter dans la forêt » reprit le chef calmement. Un petit homme hargneux entouré de ses soldats peut techniquement se mettre en application cette déclaration, nous éloigné de la route et derrière un bosquet nous exécuter. Personne ne viendrait chercher nos corps sur la ligne de front et peut-être 10 ans plus tard on retrouverait nos os blanchis par le temps au même endroit sans qu’aucun ne manque.

 


« Celui-là c'est moi qui l’exécute » ; deux soldats se disputaient Vadim, par ce qu’il ressemble un peu a un espion avec ses lunettes de soleil dont les contours étaient à présent dessinés sur son visage suite aux coups de pied qu’il avait reçu. À travers ses lunettes une forêt paisible se refléter tandis que le soldat fouillait la voiture. Nous en avion reparler avec Vadim et il m’avait dit avoir réfléchi à la « fragilité du moment » : tu est bien, il fait beau et pas trop chaud et puis soudainement on te dit que tu vas être exécuté, sur ce bord de route entouré d’une nature immuable et sourde à notre peur. « Quand on tue, c’est des balles qui rentrent dans ton corps et après tu t’endors ». Ce dont a peur Vadim ce n’était pas d’être exécuté, mais d’être torturé. Il avait peur de perdre le contrôle sous la torture. Le chef incrimina Vadim et après avoir découvert mon accréditation militaire côté Ukrainienne il la jeta avec nos affaires sur le sol. Le chef nous rendit coupable des 101 enfants morts à Donetsk pendant les bombardements, il parlad’un message via Gmail qu’il avait intercepté. La lettre en question était celle de mon université que nous avions envoyée quelque jours avant àl’armée Ukrainienne pour pouvoir filmer le check- point zéro, de nuit, sous les bombardements. Les soldats me séparèrent de Vadim et medemandèrent de contacter son père. J’insista auprès du chef sur le fait que j’avais payé Vadim pour qu’il vienne ici, que j’était seul responsable etqu’il ne pouvait pas le gardé. Peu après, le chef, encore rouge et bouffie à force de gesticuler des menaces, reçu un appel avec l’ordre de nouslaisser partir.

 

 

 

 

 

2018-2019

 

 

 

ROSTOV-SUR-LE-DON (Russie)

Pour la Coupe du Monde 2018, les supporters russes étaient amenés à voter pour leur mascotte. Ils n’ont pas choisi l’Ours brun, grand absent du vote, rappelant peut-être trop et à raison les années Brejnev pendant lesquelles Micha, une ourse, première mascotte des JO de l’histoire s'était envolée dans le ciel Moscovite. C’était le 3 août 1980. De ces années Brejnev on se souvient aujourd'hui que ces Jeux ont marqué le début de la fin. La Nomenklatura s’était accaparée les richesses du pays au détriment des travailleurs, et pour contrer son impopularité étouffante Brejnev demanda à son peuple de le suivre en Afghanistan.

Lors de cette élection organisée par la FIFA, le loup fut élu au premier tour avec 52,8% des voix contre le chat et le tigre. Le loup se caractérise par le fait d’être un animal extrêmement territorial, établissant des espaces beaucoup plus grands qu'ils en ont réellement le besoin.

 

En mars 2018, Poutine était en Crimée pour inaugurer le pont qui relie désormais la péninsule anciennement Ukrainienne au Caucase Russe. Le sport, en plus d’être un haut lieu de corruption, est aussi un moyen de « forcer la nature » des individus les moins politisés de la société comme le disait l’historien Éric Hosbawm dans son livre Nation et Nationalisme. Pendant les courtes élections présidentielles de 2018, les rares allocutions de Poutine étaient le plus souvent organisées dans les grands stades de foot construits pour la coupe du monde.

Après avoir assisté aux élections à Rostov-sur-Don où Poutine a été élu au premier tour à 78,97% des voix, on peut dire que ce fut un non-événement. Une connaissance de Toural qui travaille le jour comme secrétaire d’un député de Rostov et la nuit comme chauffeur de taxi a intercepté sur la boîte mail du député début mars un mail surprenant venu du sommet de l’État. Le mail était intitulé « mobilisation générale ». Le secrétaire avait d’abord cru que la Russie était entrée en guerre.

Dans ce mail il était écrit que le pouvoir central exigeait que chaque député de la ville de Rostov trouve au moins 30 votants. Les administrations publique et privée étaient sur le pied de guerre, les commerces de la ville s'étaient prêtés aux jeux en affichant sur leurs devantures l’affiche qui dans les cafés, les bus et les magasins demandaient à chaque citoyen russe d’aller voter pour « la Russie ».

Le jour des élections, personne ne semblait y prêter la moindre attention. Certains allaient voter, comme s’ils allaient faire leurs courses à l’épicerie. Personne ne douta une seconde des résultats. Poutine lui-même, sur les rares affiches qui le représentaient semblait indifférent à sa fonction politique de chef d'État. La Coupe du Monde allait donc offrir aux Russes un substitut à l’émotion que les russes ne trouvent plus en politique. L'émotion de l’incertitude face aux chances d’une victoire de la Russie sur les terrains flambants neuf des gigantesques stades du mondial.

Rostov-sur-Don est construite comme une succession de grands boulevards qui s’entrechoquent de manière monotone. Pas une église ou un monument ne retient votre regard. Les boulevards de style stalinien construits après la guerre s’étalent sur des kilomètres. La ville compte plus d’un million d’habitants mais il n’existe pas de métro, et les transports en commun sont dans un état vétuste. Tout se fait en voiture, créant à chaque croisement de ces grands boulevards des embouteillages. Depuis un ans la municipalité de Rostov-sur-Don, a fait creusé des tranchées et oublié de les refermer La boue se répand dans toute la ville

Les chauffeurs de taxi vous mettent en garde contre Rostov, beaucoup de choses se passent à Rostov. « Il y a beaucoup trop de bandits dans cette ville » sans plus vous en dire. « Odessa maman, Papa Rostov » de la pègre juive d’Odessa au bandit du Caucase, on parle de Rostov comme l’une des villes les plus criminelles de Russie.

En traversant le pont Voroshilovskiy, un imposant stade rectangulaire retient votre regard. C’est le Rostov Arena pouvant accueillir plus de 45.000 spectateurs, soit l’équivalent de ce que pouvait accueillir le Colisée romain il y a presque deux mille ans. En m’enfonçant dans l’immense chantier, j’ai fait la rencontre de Nicolay au visage sale et juvénile de vingt-deux ans, avec en arrière-plan un ballet de camions bennes orange. Lui et son équipe, employés d'une société de construction d’Aksaj, ont été dépêchés sur les grands chantiers pour finir l‘asphalte du grand parking et créer l’héliport. Nicolay prépare le nouveau visage de Rostov pour 20 000 roubles par mois (à peu près 300 euros). Il étale sur la givre du goudron chaud qui arrive par camion entier. Un travail harassant, à l’aide d’une pelle. Il prépare l’asphalte, se lève à 6h dans une datcha louée pour son équipe et parcourt 60 km avant d’arriver à Rostov. Le travail s’arrête entre midi et une heure pour manger dans leurs camionnettes, et il reprend jusqu’à ce qu’il n’y ait plus de goudron, vers 18 heure.

 

Nicolay vient d’une famille d’agriculteurs. Après des études en mécanique dans un lycée technique à dix-huit ans, il rejoint la 58ème armée pour faire son service militaire. Un service réservé aux classes populaires, normalement obligatoire, mais la plupart des parents préfèrent dispenser leurs enfants quand ils peuvent payer des pots-de-vin au docteur, à cause des mauvais traitements, des vols et des bizutages qu’infligent les généraux à leurs nouvelles recrues. L’armée a préparé Nicolay au travail de chantier. Nicolas ne discute pas les ordres de ses supérieurs et travaille d'arrache-pied pour un salaire qui ne lui permet pas de partir de chez ses parents.

Nicolay aime son pays, mais pour les élections il n’est pas allé voter pour la « Russie ». Il n’en a tout simplement pas eu le temps avec le chantier .L’asphalte sur lequel travaille Nicolay va être piétiné par des dizaines de milliers de supporters. Les constructions ont pris du retard et il est fort probable que Nicolay continue de travailler jusqu’en juin à proximité des plages où se prélassent les jolies filles ou bien sur lesquelles se déroulent des beuveries des Fanzones. Une fois le travail terminé, Nicolay va rentrer chez ses parents qui habitent à une centaine de kilomètres plus au sud de Rostov. Et loin du vacarme des machines, sur les bords du fleuve du Don, comme ça se fait beaucoup dans les campagnes, Nicolay ira pêcher des journées entières avec des centaines d’autres habitants du village. Que deviendra Nicolay une fois que les grands chantiers de la Coupe du Monde seront terminés ?

Dans le vieux centre de Rostov, en attendant leur trolleybus, les habitants parlent du grand incendie du dernier été. C’est l’un des sujets parmi la myriade de petites crises du quotidien qui a suscité le plus de mécontentement chez les honnêtes gens de Rostov.

L’histoire est la suivante. En 2016, des constructeurs ont commencé à racheter pour des sommes dérisoires la totalité des vieux quartiers du centre historique avec l’intention d’y construire de grands hôtels pour la coupe du monde. Mais certains des habitants se sont opposés au projet. Et quelques jours après le dernier ultimatum des constructeurs, une nuit d’été, un grand incendie détruisit la totalité du vieux centre à cause de l’intervention tardive des pompiers. Les vieilles maisons de bois flambaient comme de la paille, ne laissant qu’un désert de briques noires de l’ancien quartier surnommé par les habitants « Govniarka », qui se traduit littéralement par « la merde ».

Pour les victimes du grand incendie, la mairie de Rostov rouvrit des camps, déjà ouverts une première fois en 2014 lorsque des milliers de réfugiés Ukrainien fuyaient la guerre du Donbass. Des centaines d’habitants de Rostov se retrouvaient réfugiés dans leur propre ville.

Les honnêtes gens concluent qu’à Rostov il y a trop de «Vory v zakone », c’est-à-dire de « voleurs dans la loi ». Une façon pudique de dire que la Mafia a intégré les plus hautes sphères politiques et économiques de Rostov.

A quelques centaines de mètres du tumulte des chantiers, Yana se rend aux répétions dans la maison de la créativité, en face de la place Karl Marx. A côté du marché Arménien ou des soldats amputés viennent les beaux jours faire la manche, juste au début du quartier Nahitchkevale. Demain se tiendra dans cette même maison de la créativité un concert « Le printemps de Chevtshenko », auquel la troupe de Yana va participer et où se retrouve toute la communauté Ukrainienne de Rostov.

Yana fait partie de cette première vague de réfugiés de 2014. Elle a vécu elle et son mari avec le reste de la troupe un peu plus de 8 mois dans les camps de réfugiés.

Aujourd'hui Yana a 30 ans. Elle est jeune mère d’un fils de quatre ans et mariée à un autre danseur de la troupe, Youri. Elle fait partie de la troupe « Legenda », une troupe de danse et de chant qui se réfère aux traditions anciennes des Cosaques du Don. Cette civilisation est issue du métissage de cultures slave et tatare, dont l’histoire commence lorsque ces peuples d’anciens esclaves exilés de Russie ont juré allégeance à la Russie d’Ivan le Terrible.

Les Cosaques ont cette particularité d’être une organisation paramilitaire de la société. Dès son plus jeune âge, le garçon cosaque est préparé au combat. Depuis plus d’une dizaine d’années, le Cosaque comme organisation paramilitaire fait son retour dans le Caucase. Il intervient sur toutes sortes de conflits déclenchés par la Russie depuis ces vingt dernières années : Tchétchénie, Géorgie, Ingouchie, Syrie ... On a surtout vu le cosaque du Don en Ukraine dans la région de Louhansk. Yana danse pour le folklore. Elle n’entend pas faire de son fils un guerrier qui, quand il sera grand ira détruire tous les ennemis de la Russie. La troupe « Légenda » dans laquelle elle travaille en expose plutôt le versant folklorique. Elle se produit pour les fêtes et les événements culturels ou les comités d’entreprises. Mais il arrive aussi que la troupe de Yana se produise aux cotés de ce type d’organisation paramilitaire cosaque à l’occasion du jour de la victoire et du 9 mai. Yana et sa troupe étaient installés jusqu’au début de la guerre du Donbass dans la ville Ukrainienne de Louhansk après l’autoproclamation de la République populaire le 27 avril 2014. Les combats les plus meurtriers ont alors lieu dans les environs de la ville. Les milices séparatistes des cosaques Ukrainiens et Russes sont appuyées par l’armée Russe causant une escalade du conflit qui fera plus de 10.000 victimes. Yana et sa troupe décident de partir lorsqu’une bombe tombe dans la cour du conservatoire. Yana laisse à Louhansk sa mère et son jeune frère, et pour éviter la ligne de front plus à l’ouest, la troupe « Legenda » se réfugie à Rostov, la capitale des Cosaques du Don .

 

Pendant 8 mois Yana est restée dans le camp à danser et chanter des histoires cosaques du temps des grandes guerres napoléoniennes en espérant s’intégrer le plus rapidement possible sur la scène culturelle de Rostov. Les spectacles de « Legenda » plu au gouverneur de Rostov, les acteurs de la troupe reçurent un logement et eurent le droit de travailler dans la maison de la créativité de Rostov. En contrepartie, la troupe doit continuer à promouvoir le folklore cosaque lors des grandes fêtes russes. Pour la Coupe du Monde, Legenda a déjà inauguré le nouvel aéroport de Rostov en présence du président Poutine, et elle sera conviée par la FIFA pour se produire devant des millions de supporters avant les matchs.

Le fait d’avoir été Ukrainienne demande à Yana beaucoup de prudence. La politique est un sujet qu’elle évite par la danse. Ce dont Yana rêve, c’est de partir pour Paris, de déambuler sur l’avenue Montaigne, de trouver du travail et de laisser tomber le Caucase et ses Cosaques.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Toural est arrivé en Russie à l’âge de quatre ans. À partir de 9 ans il fait du karaté. A 10 ans il gagne plus que ses parents en vendant des légumes sur les marchés. Toural ne boit pas, ne fume pas. Il passe son temps dans le centre d’entrainement olympique de Chakhty, l’un des meilleurs de Russie.

Originaire d’Azerbaïdjan, ses parents sont venus s’installer dans la ville de Chakhty qui veut dire littéralement « mine » en Russe. Lorsque les habitants de Chakhty se rendent à Moscou, les Moscovites sont étonnés quand leurs hôtes disent venir de la mine. Chakhty est située à moins d’une centaine de kilomètres de l’ancienne frontière Ukrainienne, à deux heures de route de Louhansk et de Donetsk.

Chakhty est l’une des villes qui produit le plus d’athlètes en Russie. Sur l’Avenue des Champions sont affichés sur des panneaux les visages des athlètes de Chakhty. La première médaille date de 1972 lors des Jeux Olympiques de Munich. Le dernier panneau s’arrête aux Jeux Olympiques de Beijing. L’Avenue des Champions se termine par le chantier d’un stade en construction abandonné depuis que le dernier maire de la ville s’est pris une balle dans la tête en sortant de sa Porsche à une station d’essence. Depuis, on a remplacé le maire par un « City Manager » qui a abandonné le chantier du stade. D’énormes écrans géants gisent dans les structures en béton des tribunes. Il arrive que Toural et ses amis s’y retrouvent avant d’aller en boite de nuit.

Toural veut son panneau sur l’avenue des champions. Devenir un champion c’est augmenter ses chances de réussir. Toural croit en son pays d’adoption. Quand on lui demande s’il faut partir de Russie pour réussir, il vous rit au nez en reprenant la formule de Poutine faite à Sarkozy le 07 juin 2007 : « mais mon pays il est grand comme ça ! (...) Pourquoi voudrais-tu que je ne réussisse pas en Russie ? »

Actif, Toural est député au parlement des jeunes chez Russie-Unie et, dans un même temps, représentant de la communauté Azérie dans la ville de Chakhty. Il a sous ses ordres une équipe de 25 bénévoles qui fait régulièrement des actions pour aider les jeunes à arrêter de boire et de fumer. Toural fait des études en ingénierie en construction. Il a fait la promesse à sa mère à l’âge de 12 ans qu’il réussirait dans la Russie de Poutine. Meilleur élève de sa promo, Il donne des cours de karaté aux enfants trois jours par semaine. Ceci ajouté à la bourse d'étude qu'il reçoit, il peut compter sur un revenu de 15.000 roubles par mois (210 euros).

Toural est très au courant de l’impressionnante corruption mise en place au sommet du Kremlin. Les grandes compétitons sportives sont devenues un moyen pour les oligarques de Russie d’engloutir l’argent public. Toural peut en dénoncer la vacuité ou même le vol astronomique qu’elles représentent, il n’en reste pas moins le premier sur Instagram à réaffirmer sa totale adhésion pour le système Poutine. « Sotchi a coûté plus de 42 milliards de dollars d’argent public. L’argent est directement allé dans les poches des amis de Poutine » Toural le sait, tandis que la ville de Chakhty aurait bien besoin que l’on refasse ses routes et son hôpital.

Être pour Poutine, c’est se placer au-dessus des petites considérations du quotidien. Poutine c’est l’homme fort qui ne part de rien. Toural aussi voulait devenir agent du FSB mais ses origines Azéries ont posé problème lors de l’examen d’entrée. Alors Toural a choisi des études en construction.

Toural fait la distinction entre travailler et gagner. Toural ne veut pas travailler, il veut gagner. D’abord dans le karaté, qu’il pratique depuis ses neuf ans, aujourd’hui dans les études et demain chez Russie-Unie.

Pour la Coupe du Monde, Toural en sa qualité de jeune député sera coordinateur des volontaires qui accueilleront les supporters étrangers pour les matchs. La Coupe du Monde est une manière pour Toural de rentré en politique.

Il sait qu’il n’y a que dans la politique qu’il pourra gagner.

2022

Centre d'accueil

Selon l’ONU, plus de 6 millions d’Ukrainiens ont fui leur pays. C’est la plus importante crise de réfugiés en Europe depuis la Deuxième Guerre Mondiale.

 

La Pologne est la première terre d’accueil de ces réfugiés, avec plus de 2,8 millions de personnes sur son sol, principalement des femmes et des enfants. En Allemagne ce chiffre s’établit à 320 000 réfugiés. La France en compte quatre fois moins, soit 80 000 réfugiés accueillis depuis le 24 février 2022. Aujourd’hui, la Russie concentre son offensive dans le Donbass, après son retrait de la région de Kyiv. À l’ouest du pays, la vie semble reprendre son cours normal, malgré des bombardements quotidiens sur l’ensemble du pays qui visent aussi les civils. Trois mois après le début de la guerre, 1/3 de ses réfugiés exilés en Europe seraient rentrés chez eux, d’après un récent rapport de l’ONU, alors que la guerre en Ukraine est rentrée dans sa phase prolongée, à l’est et au sud de l’Ukraine.

Dasha a 31 ans, elle est arrivée en France le 6 mars avec ses deux enfants, Kiril 5 ans et Maxime 2 ans. Pendant plus de trois mois, ils ont été hébergés dans un appartement-hôtel à Saint-Rémy-lès-Chevreuse, au bout de la ligne du RER B, à plus de deux heures du centre-ville de Paris.

Début juin, Dasha a décidé de repartir en Ukraine avec ses deux enfants pour un voyage de deux jours en bus vers Odessa. Mais d’abord, Dasha tient à montrer à ses enfants Paris et ses monuments historiques en passant quelques jours chez son ami Sacha elle aussi originaire d’Odessa. `

Dasha explique à Sacha son choix.

Dasha - Je crois très fort à notre victoire, je crois, en l’armée ukrainienne, au début c’était la panique. Tu sais que la vie de tes enfants c’est le plus important, et tu n’as rien pris avec toi. Hormis quelques tenues de sport pour venir. Après tu comprends qu’il y a un avenir en Ukraine, et cet avenir c’est aussi nos enfants. Et même lorsque mes enfants écouteront les sirènes. Ils vont garder ça en tête, pour que dans le futur, ils ne répètent pas la même chose. Pour qu’ils comprennent qu’il faut défendre notre pays. Ils sont très petits maintenant mais ils comprennent absolument tout. Je ne veux pas revenir en France. Ici tout est bien, mais avec les enfants c’est impossible je ne peux pas travailler, toute ma famille est restée en Ukraine, et mon pays autant que ma famille me manquent profondément.

Kiril - Je veux rentrer à Odessa !

Dasha - On sait que l’avenir de l’Ukraine c’est les enfants. Je viens d’Odessa, Mykolaiv résiste toujours, grâce aux autres villes comme Mariupol, grâce à ça Odessa est en sécurité pour le moment. Il y a un grand danger du côté de la mer. Mais les armes américaines vont nous protéger.

Kiril - Maman plus vite !

Dasha - Les conditions de vie sont meilleures pour le développement de mes enfants en Ukraine. Si les enfants tombent malades les traitements sont différents. Tu ne dois pas attendre un mois pour avoir un rendez-vous chez le médecin. Tu ne dois pas attendre deux semaines pour obtenir un document administratif. En Ukraine tout est sur ton téléphone portable.

En Ukraine la famille est présente. Le 9 juin c’est l’anniversaire de nos 5 ans de mariage avec mon mari, il nous manque profondément. J’habite au neuvième étage maintenant, mais je vais déménager au rez-de-chaussée chez ma mère parce que j’ai peur pour les bombardements. Chez ma mère il n’y a pas de cave, je ne sais pas comment je vais me débrouiller peut-être qu’il faudra sortir sur le parking lors des sirènes. Il y a tout le temps des sirènes, le matin la journée la nuit. Mais comme notre armée défend l’Ukraine, tout ira bien.

Artem, le mari de Dasha n’a pas pu sortir d’Ukraine. Ce marin d’Odessa vit depuis la guerre dans un petit village des Carpates. Il est dans l’impossibilité d’exercer son métier depuis le blocus maritime de l’armée russe en mer noire. À Odessa les quais des ports sont déserts. En Ukraine 75 % des exportations se font par bateau. Avant la guerre, Artem passait chaque année 6 mois en mer, sur des cargos céréaliers. C’est la mère de Dacha qui s’est montrée la plus persuasive pour faire rentrer sa fille. Cette médecin d’une cinquantaine d’années a largement rassuré sa fille sur la situation à Odessa. Dasha et Artem célébreront cette année leurs cinq ans de mariage à Odessa dans l’espoir que la vie reprenne son cours normal. Mais l’avenir semble incertain. La ville d’Odessa est prise en étau par l’armée russe dans la région de Kherson à une centaine de kilomètres plus à l’est, tandis que l’état prorusse de Transnistrie n’est qu’a 70 km à l’ouest, cette région séparatiste de Moldavie revendique la création de la Novorussia, pour relier la Transinistrie jusqu’aux régions séparatistes du Donbass et ainsi couper l’Ukraine de tout accès vers la mer noire.

Une fois rentrés à Odessa, comment Dasha et ses deux enfants vont-ils s’adapter à cette ville défigurée par la guerre ? Les plages se sont transformées en zone militaire en face de laquelle l’étendue de la Mer Noire et devenue une ligne de front.

À plus de 400 km plus au nord dans le capital de pays, Kiev, Olesya et son mari Pacha se sont retrouvés après plus de 100 jours de séparation. Ils sont tous les deux architectes d’intérieur. À Kiev l’industrie du luxe semblait avoir de beaux jours devant elle avant la guerre, malgré un taux de pauvreté qui dépasse 50 % sur l’ensemble du pays en 2021. Ce qui n’empêcha pas Kiev de devenir une capitale attractive pour les entreprises étrangères. En 2012 l’Ukraine devient la 8e destination touristique d’Europe grâce à l’organisation de la coupe d’Europe de football et un assouplissement des politiques de visa pour les pays occidentaux et les États du golf. Kiev et également devenue une ville attractive

dans le secteur technologique notamment avec l’implantation de grandes entreprises comme Ubisoft, Google ou encore Microsoft.

Avec l’invasion russe et l’encerclement de la capitale au mois de mars, cette activité économique en pleine ébullition s’est retrouvée anéantie. Début mars Olesya a fui avec sa fille de trois ans Sacha vers la Pologne. Elles sont restées dans un centre d’asile pendant plus de trois mois. Pacha quant à lui participera à la défense civile dans un village proche de Kiev, là où il s’était réfugié au début de la guerre.

Après le retrait des troupes russes de la région, Pacha a pu rentrer chez lui. Quelques semaines plus tard c’est au tour d’Olesya et de leur fille de rentrer.


Ils vivent ensemble dans un petit appartement proche du parc de Babin Yar, où furent perpétrés les terribles massacres juifs par l’occupant nazi en 1941. Il y a quelques semaines une bombe est tombée dans la cour d’immeuble de leur appartement. Avec la guerre, leur cabinet d’architecture d’intérieur a tout perdu. Pacha et Olesya gagnaient très bien leur vie avant la guerre. Aujourd’hui beaucoup de clients se sont réfugiés à l’étranger, les chantiers sont arrêtés, et leurs salariés ont rejoint l’armée ou des organisations humanitaires.

Reprendre la route de l’exil, ou vivre au rythme dangereux de la guerre. C’est la difficile question à laquelle sont confrontées ces familles, les premières victimes de cette guerre.

Le 24 février 2022 à Marioupol, l’anéantissement
 

 


Le 24 février 2022, la Russie déclenche son opération militaire en Ukraine. La ville de Marioupol n’est qu’à une vingtaine de kilomètres de la ligne de front.L’armée russe y déploie le long de cette ligne une artillerie capable de tirer jusqu’à 600 000 obus par jours.

En quelques semaines, un déluge de feu s’abat sur Marioupol, et vise délibérément des infrastructures civiles. Connue pour son vaste complexe industriel, la ville de Marioupol et aussi devenue la plus grande ville étudiante de la région du Donbass depuis 2014. L’université technique d'État Azov de Marioupol formaient les futurs employés des deux grands complexes sidérurgiques  détenus par le groupe Metinvest, Azovstal et Illich.

La guerre est entrée dans la vie de ces étudiants lorsqu'ils n’étaient encore que des enfants, avec la guerre du Donbass à partir de 2014. Ils connaîtront également l’épidémie mondiale du Covid, mais aucun deux n’était préparé à vivre les événements du 24 février 2022. Comme lors de l’opération Barbarossa en 1941, le siège de Marioupol nous confronte à l’une des périodes les plus sombres de notre histoire européenne.
Un chiffre vertigineux : selon les autorités ukrainiennes, ils seraient plus de 22.000 civils à avoir perdu la vie en l'espace de quelques semaines dans cette ville de 446.000 habitants. C'est deux fois plus de morts que pendant les huit années de guerre du Donbass, victimes militaires et civils confondues.



Avoir 20 ans, le 24 août 2021 à Mariupol

Le 24 août, Mariupol et en fête, l’Ukraine a 30 ans. Danil prend part au marathon organisé en l’occasion du jour de l’indépendance. Un grand concert et organisé sur la place du théâtre. Cet enfant du Donbass avait 13 ans quand la République Populaire de Donetsk s’est autoproclamée. Et depuis 2014, le temps et comme suspendu à Donetsk. Beaucoup d’habitants de la république ont choisi l’exil, surtout les jeunes, plutôt que de rester vivre dans cette région « dépressive ». Danil veut faire de « vraies études » parce qu’en DNR les diplômes ne servent à rien. Il part avec sa mère et ses frères à Marioupol. Danil est reçu dans l’Université technique d’État Pryazovskyi, l’une des deux plus grandes Universités de la ville. Elle compte 4500 étudiants pour l’année 2021-2022. Danil y apprend le Marketing. Malgré l’épidémie mondiale de Covid, avoir 20 ans à Marioupol et vécu comme un moment de libération et d’émancipation pour lui.

Avec la deuxième vague de covid, les cours à l’université se font à distance, seuls les travaux pratiques en petit groupe sont réalisés dans l’université. Les cours à distance permettent à Danil de trouver du travail dans une agence de marketing.

Au début de l’année 2022 dans l’entourage de Danil on commence à parler de la possibilité d’une guerre avec la Russie. Mais jusqu’au matin du 24 février, pas un ami, pas un membre de sa famille, personne ne peut imaginer une chose pareille.

Le 24 février Danil se réveille à 8 h et se prépare pour une journée au bureau. Mais en consultant les actualités sur son téléphone c’est la stupeur : des missiles volent au-dessus l’Ukraine, l’invasion a commencé. Les hélicoptères remplis de parachutiste russes foncent sur la capitale. C’est à ce moment-là que Danil à compris que « c’était fini ».

Pris aux pièges des bombardements, il décide de tenir son journal caché dans la cage d’escalier de son immeuble.

2 mars.
Internet est tombé en panne cette nuit. Le matin ils ont coupé l’électricité, on pensait que le courant serait rétabli avant la fin de la journée, comme c’était avant. Je suis allé me coucher et j’ai cru que la nuit, le téléphone se rechargerait et que le matin, il y aurait à nouveau la lumière.

3 mars.
Ils ont coupé l’eau. J’ai apporté de l’eau dans la salle de bain pour me laver et au moins laver la vaisselle d’une manière ou d’une autre. Il y a encore à boire. J’attends la lumière avec impatience. J’ai commencé à lire Fight Club de Chuck Palahniuk.

4 mars.
Journée bruyante.
J’ai fini mon livre.

5 mars.
Journée bruyante.
Au matin, ils ont commencé à dévaliser les pharmacies et les magasins.
C’est foutu.
J’ai retrouvé une connexion pour la première fois, j’ai réussi à appeler. C’est le premier jour où je suis sorti de la maison, je suis allé chercher de l’eau dans un autre appartement. J’ai vu comment le marché d’Azov a brûlé.

6 mars.
L’eau s’épuise.
Un pipeline a explosé à 300 mètres de moi. J’ai couru toute la journée pour y puiser de l’eau. Des gens de tout le district sont venus avec des seaux pour récupérer l’eau. J’ai traîné 100 litres jusqu’à l’appartement, c’est suffisant. Le soir, nous sommes allés à l’hôpital pour recharger le téléphone, une pharmacie s’est faite cambrioler. Nous avons récupéré 2 cartons de compresses dans la pharmacie, Lisa et moi les avons traînés jusqu’à l’hôpital pour aider les gens. Lisa a été surprise. Les hôpitaux ont été bombardés, il vaut mieux ne pas y aller, c’était une erreur d’y aller.
Avec nos cartons, on avait l’air de maraudeurs, et des blindés sont devant. « Dan, je n’aime pas ça », dit Lisa, et pourtant elle marche à côté de moi. Finalement les militaires ont emmené les boîtes à l’hôpital. Ils voulaient avoir de l’eau, mais il n’y en avait pas. Le soir, ils ont coupé le gaz de la ville.

7 mars.
Je suis allé avec maman chercher de l’eau. Le matin, ils ont commencé à scier et à couper des arbres, ils ont cuisiné sur un feu dans la cour toute la journée. J’ai fait le tour de la ville, c’est foutu. Tout est cassé. J’ai vu un gars de l’entreprise où je travaille, j’ai découvert que le bureau était intact et j’étais fou de joie. J’y suis allé, j’ai vu des visages familiers, j’étais très heureux.

8 mars.
Journée bruyante, beaucoup de bombardements et de tirs.
Nous avons fait un mini-four dans la cour. Lisa et moi sommes allés à la mosquée chercher de l’eau potable, ils ont tiré à 300 mètres de nous. Nous avons récupéré 30 litres, c’est très cool, et ce n’était pas très lourd. J’ai contacté et appelé tout le monde. Ils ont apporté leurs affaires et leurs médicaments à l’hôpital pour aider les gens.

9 mars.
Journée bruyante.
Nous cuisinons dans la rue. Je suis allé avec Lisa à Trinity, recharger mon téléphone et parlé aux gens qu’on a croisés.

10 mars.
Journée bruyante.
Vers 15 heures, un obus est tombé sur la maison. Les vitres ont été brisées, la voiture du voisin incendiée. Une journée pleine d’ émotions. Le voisin dormait soit dans le couloir, soit dans l’appartement. La nuit, son appartement était en feu, ils ont plus ou moins réussi à l’éteindre. Journée dégoûtante.

11 mars.
Journée bruyante.
Le matin, nous avons rassemblé toutes les choses les plus nécessaires, nous avons pensé à aller au refuge sur Savonna, ou Trinity. Nous ne pouvions pas nous décider à y aller, un avion nous a survolés toute la nuit c’était terrifiant. Sur la route il a une partie dangereuse et une partie sûre. Nous sommes passés devant un endroit dangereux exposé au sniper, une personne du quartier nous a interpellé « Allez sur la route “sûre” ! ». Maman, mon frère, Lisa et moi, avec les animaux et les sacs, avons pris cette route. Plus loin il y avait une zone dégagée, avec un convoi de véhicules civils. Un avion a commencé à nous survoler. Nous nous sommes accroupis derrière des poubelles, comme si les poubelles allaient nous protéger. C’est comme si l’avion entendait nos cœurs battre. Immédiatement, il me sembla que l’avion était déjà au-dessus de nous, mais il s’approcha encore plus près, il a largué des bombes quelque part plus loin et il est reparti. Nous avons prié du mieux qu’on pouvait, nous étions tellement heureux d’avoir survécu. Puis nous nous sommes cachés dans une fosse afin que si d’autres obus tombent, nous survivions. Nous avons couru encore 150 mètres jusqu’au bureau. Les grilles étaient fermées, j’ai crié du mieux que j’ai pu mais les gars ne m’ont pas entendu. J’ai couru chercher la clé en escaladant la porte, je suis tombé. La serrure de la porte était rouillée. L’entrepôt a brûlé. Les employés se sont installés dans le bureau des informaticiens. Un tas de téléphones, branchés sur le générateur. La nuit nous avons dormi au bureau, le matin nous avons déménagé au TP, où il y avait environ 20 personnes. Tout le monde y dormait, c’est une pièce en demi-sous-sol, relativement sûre.

12 mars.
Journée bruyante.
Le soir, nous avons mangé du fromage bleu et joué aux cartes. Nous sommes restés jusqu’à 2 h du matin. Nous attendons avec impatience l’évacuation. Les ressources s’épuisent. Les avions bombardent, tout autour de nous.

13 mars.
Journée bruyante
Elle a commencé avec des bombardements autour du bâtiment dans lequel nous étions réfugiés (il y en avait déjà aussi avant, mais pas autant) je pense que ce sont des tanks qui ont tiré sur le bureau. Nous avons protégé les fenêtres avec ce que nous avons trouvé, on s’est préparé. Les tirs de Kalashnikov étaient très proches. Un tank et rentré dans notre cours. Quand il est parti, nous avons vite fermé le portail, pour qu’il ne revienne pas, pour ne pas être la cible de l’artillerie. Quatre collègues sont arrivés dans le bureau, ils ont été touchés par des tirs, trois sont blessés, l’un d’eux était dans un état critique. On a essayé de le soigner avec ce qu’on avait sous la main. On leur a donné les clefs de la voiture, ils sont partis vers l’hôpital, bombardé de tous les côtés. Le conducteur nous a fait la promesse qu’il reviendrait le soir, mais il n’est jamais revenu. Nous avons attendu le convoi avec beaucoup d’angoisse.

14 mars
Journée bruyante
Ils m’ont réveillé à 3 h 35 du matin. Dans le bureau certains murs sont totalement éventrés, et on doit défendre le bâtiment des maraudeurs. Un gars qui devait être de garde la nuit n’a pas voulu y aller. La personne avec qui je gardais le bâtiment m’a dit qu’il fallait partir d’ici.
On a surveillé jusqu’à 6 h du matin, la nuit était tranquille, mais à 8 h le bruit des mitrailleuses et des bombardements ont recommencé. Certains des collègues sont allés voir le checkpoint le plus proche, il était totalement détruit. En revenant, ils ont demandé qui voulait sortir de la ville, car le bureau n’allait pas résister longtemps aux bombardements. Tout était détruit autour de nous, ils nous ont fait comprendre qu’il fallait partir ou ce serait pire. Je n’arrive pas à décider, est-ce que je dois partir avec ma famille ? J’ai insisté pour que l’on reste ensemble.
Pour le premier départ de voiture, ils ont pris les vêtements, les valises. Ils sont partis sous les tirs, juste après leur départ une bombe est tombée dans notre cours. Je suis parti avec ma famille dans la deuxième voiture, nous avons prié comme jamais, les tirs étaient très proches. En sortons de notre cour, je n’ai pas reconnu le quartier, rien n’est resté, ils ont vraiment tout détruit. Absolument tout. Il ne restait que de la terre et des ruines. Nous avons traversé la ville, il y avait beaucoup de voitures calcinées avec des corps à l’intérieur, des maisons éventrées et des cadavres sur la route. À la sortie de la ville, nous avons vu les checkpoints détruits, nous avons évité les mines sur la route. Nous sommes allés dans un village. La Troisième voiture est partie, alors que trois personnes avaient décidé de rester, je ne sais pas ce qu’il leur est arrivé depuis. La mère d’un ami est arrivée le visage en sang, son beau-père est mort, ils se sont retrouvé piégé dans des feux croisés. »

Aujourd’hui Danil vit avec sa famille et sa copine Lisa à Dnipropetrovsk, la troisième ville du pays. Avec un peu moins d’un million d’habitants, Dnipro se situe actuellement à 150 km de la ligne de front. Daniel voit souvent son ami Vadim, lui aussi survivant de Marioupol. Pour fuir l’enfer il a traversé à pied de nuit la ligne de front sur une trentaine de kilomètres.
La plupart des élèves de l’université technique de Marioupol ont trouvé refuge dans cette ville.

Eugène, un autre élève de l’université technique, est lui aussi originaire de Donetsk, Son appartement et celui de sa famille a été bombardé quelques jours après leur départ.

« À 5 h du matin le 24 février la famille restée à Donetsk nous a appelés, ils nous ont dit que c’était la guerre. Ma mère et moi avons fait des bagages et sommes partis vers l’ouest, notre maison a été détruite dans les jours qui ont suivi. L’université s’est déplacée à Dnipro. Deux semaines après le début de la guerre, aucun de mes amis restés à Marioupol ne répondait au téléphone ou sur les réseaux sociaux. Deux mois après certains d’entre eux ont refait surface, mais d’autres sont morts, ou portés disparus. »




 

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